dimanche 27 novembre 2016

jour 40, la grenouille


Celui là, il fait mal aux jambes, au moral, à tout. Seule bonne nouvelle de la journée, un grand courant d’air chaud qui remonte du Pacifique pour réchauffer le Japon. Problème, ce courant d’air chaud rencontre le courant d’air froid de la Russie qui a glacé le Japon les derniers jours. Résultat : deux jours de pluie. Et attention, pas de la petite pluie. Heureusement, le programme d’aujourd’hui est simple à retenir. 15 km de montée jusqu’à 881 m d’altitude et le temple 66, 17 km de descente jusqu’au temple 67, 1 km jusqu’à la chambre d’hôte. Un vrai régal.
Non, sans rire, c’était l’enfer ! Rien à voir ni à gauche ni à droite. J’ai tout rentré dans les plastiques donc aucune photo bien pour vous, ou pour moi (en même temps, le paysage qui s’annonçait grandiose est réduit aux 10 m autour de moi). J'ai piqué des photos aux autres quand même. Je peux me plonger en moi, ce qui revient à faire zazen (comprenez contempler le vide) mais vous demander de vous plonger en vous, là tout de suite devant votre ordinateur…

Lors de cette montée, je me suis remis à penser au quotidien, dont vous me parlez souvent comme s’il était un mal. De mon côté, le quotidien ne me déplaît pas, surtout en ce moment! Il n’y a rien d’extraordinaire à faire ce que je fais. Le simple fait de marcher 30 km n’est pas superbe, ou fou. Je dois marcher 30 km, c’est ainsi. Le fait de m’adapter, de tenter la communication malgré les barrières culturelles et linguistiques n’est pas incroyable, car je dois parler à quelqu’un d’autre que les gens dans ma tête. Marcher sous la pluie, la neige, le vent, le froid, les dénivelés, et alors ? Si je ne marche pas le pèlerinage n’avancera pas tout seul.

Non, ce qu’il y a d’extraordinaire, c’est de faire du quotidien une aventure. C’est d’apprécier chaque repas pris en compagnie de gens que l’on aime, chaque moment partagé, chaque lecture au coin du feu, chaque geste que l’on fait dans sa profession, chaque ronron du chat. Voilà l’extraordinaire. Voilà le magique. Mon magique à moi est plus facile à trouver finalement. Plus rapide aussi.

Mon magique à moi, il était dans le temple 66, après un long et bel effort. Le gore-tex tient le coup, je ne suis pas mouillé au torse et aux bras. Les gants, je les essore en fermant le poing, les guêtres n’ont pas tenu le choc et mes pieds sont trempés, mon pantalon anti- tempête anti-pluie anti-vent anti-tane laisse passer de l’eau, lui aussi… Mais à l’officine des calligraphies, deux jeunes et jolies japonaises m’offrent un café, des gâteaux secs et du chocolat, noir 75%. Et pour tout vous avouer, je me demande si c’est les japonaises que j’ai préféré ou l’osetai. Je ne me demande pas, en fait, après le fou rire que l’on a pris quand elles m’ont demandé si je voulais du lait et du sucre, que je réponds oui et que en fait ce sera noir parce que ya ni lait ni sucre !
Autre fou rire avant la descente, quand un couple de retraités japonais se dirigeait vers le téléphérique m’a tapé la causette, étonné que je sois célibataire et qu’ils m’ont dit que j’allais sûrement partir du Japon à deux. Je leur ai répondu si je reste encore un peu plus longtemps je rentrerai à trois !

La descente vers le temple 67 était compliquée, car je devais passer par le bangai 16. Donc pas d’indications. Je ne pouvais pas sortir le carnet de route trop souvent car le pauvre pourrait passer au sèche-linge dès la mi-journée. Je tombe sur un japonais et une californienne qui montent dans ma direction. J’en profite pour leur demander le chemin, et ils me disent que le temple est derrière moi. Je ne m’étonne pas, je rebrousse chemin en leur compagnie, quand ils s’arrêtent et regardent leurs appareils électroniques. J’étais sur le bon chemin au final. GPS, Google et Apple le confirment. Je me demande jusqu’à quel point ces instruments sont utiles sur ce genre de parcours. Sûr, ils servent. Mais est-ce que l’on ne perd pas l’instinct, les repères topographiques ou même l’antique boussole? Je ne me pose pas la question, mon téléphone peut téléphoner et donner l’heure. Marcher en leur compagnie est très plaisant. Le japonais avance vite, GPS sur le ventre, et s’avère être un traducteur performant. La californienne, d’origine chinoise, planifie son départ des USA. Je ne lui ai pas demandé, mais sa décision à l’air assez soudaine… Une envie de sashimi, sûrement.
Je noue des contacts fugaces, car dès demain, ils prendront une demi journée d’avance. Le bangai 17 fait faire un détour de 25 km et le 18 de 7 km. Ils partiront donc sans moi, mais ils ont tenu à m’accompagner sur le dernier kilomètre, alors que leur ryokan est tout proche du temple 67. Pour s’assurer que je ne me perde pas. Nous sommes pourtant tous dans le même état, trempés, glacés, mais la gentillesse passe avant tout. L’esprit d’équipe, l’humanité qui se relève dans les moments difficiles, que sais-je. Toujours est il qu’ils sont très sympas, et que j’aurais bien fait un jour ou deux en leur compagnie.
Mon hébergement du jour est une chambre d’hôte, minshuku en jap’. Une dame seule m’accueille, accroche mes affaires mouillées dans le garage pendant que je place du journal dans mes pompes (je ne pouvais pas la laisser prendre mes chaussures, je ne pourrais pas appeler les pompiers si elle s’évanouit) et elle m’installe dans ma chambre, après m’avoir offert un café. Preuve de la qualité de son accueil, elle fait couler le bain en avance sur l’horaire. D’ordinaire, si vous voulez connaître le visage de la détresse, vous n’avez qu’à demander à un japonais de changer ses plans. Godzilla qui débarque au Japon à côté c’est rien.

Le repas, excellent une fois de plus et copieux, m’aide à oublier une contrariété. Je vais une fois de plus changer mes plans car les hébergements ne font plus hébergement. Il me faut adapter le chemin en conséquence, et je ne pourrais définitivement pas m’arranger un petit jour. Cela est écrit dans le contrat passé avec Kobo Daishi. Les contre-temps sont des épreuves, comme le fait de se perdre, de prendre la flotte à chaque montagne et de devoir s’adapter aux chaussures japonaises. Je garde le sourire et j’avance.
Je prends exemple sur la sensation de ce pèlerinage, un couple âgé de 81 et 86 ans qui font le truc à pied comme des jeunes. Ils prennent le temps, prennent les taxis par grande fatigue, mais je les ai vu attaquer des montagnes sous la pluie et je dois bien dire que je suis admiratif. Comme pas mal de monde en fait.
Encore un peu. Plus très loin même.

Jour 39 les grands froids


J’ai découvert un nouvel endroit pour dormir, henro house, des gens qui ont construit une maison ou un appart’ et qui les louent pour pas grand chose aux henros. C’est bien d’avoir trouvé ce site, parce qu’il ne reste qu’une seule possibilité sur mon parcours ! C’était le moment, j’en ai profité. Et le café offert par la maison m’a fait plaisir, surtout le matin. L’hôte qui propose deux livres pour la lecture, la vie de Kobo Daishi et … l’autobiographie de l’hôte. Pas trop d’égo donc. Mais c’était très sympa, et pas cher !

Le départ fut brutal. J’ai vu mon pote vieux henro (un que je connaissais pas encore, et qui a récuré l’appartement en arrivant en mode maniaque, coup d’aspirateur, éponge dans la baignoire et vaisselle déjà faite refaite) sortir, et rerentrer aussitôt. Il a mis un deuxième pantalon, deux tee shirts, l’anorak, les gants, le bonnet, tout. Je me suis dit, les japonais ils craignent le froid quand même. J’ai mis le nez dehors. J’ai enfilé la polaire les gants et le bonnet. Il ne fait pas chaud du tout. Il y a une semaine, je partais à 6 heures du matin en tee shirt manche courte. Aujourd’hui, j’ai enlevé la polaire à 10h. Je ne comprends pas encore bien la météo au Japon. En regardant la télé, je me suis rendu compte que les japonais ils font les news sur la neige qui tombe. Donc deux options : c’est exceptionnel ou ils aiment vraiment la neige.

Un nouveau défi qui m’attend donc, éviter à tout prix de dormir dehors. Il me faut des murs, au moins.
La journée devait m’emmener au bangai 15, pour y dormir. Impossible de les joindre la veille, j’espérais avoir une place en appelant le jour même, mais non, ils sont remplis de henros. L’auberge de jeunesse, pleine. Les ryokans pas loin, pleins. Je m’éloigne petit à petit de l’objectif jusqu’à trouver quelqu’un qui a de la place. Les plans vont devoir changer, et vite. Je fais tout cela en marchant, en essayant de garder un bon rythme car le vent me glace les os. Si je n’avance pas, je risque d’être en retard et de d’attraper froid. Finalement, si je me débrouille bien, ce contre-temps pourrait bien se transformer en avantage. Je pourrais faire l’aller retour entre l’hôtel et le bangai dans la journée. Le prochain temple, le 66, étant plus près de l’hôtel, j’y gagne pour le lendemain. Mais les kilomètres vont faire mal, et le bangai est en hauteur.

La marche aujourd’hui est sympathique. Un peu trop proche de la route, mais sympathique. Entre les montagnes, dans une jolie vallée arrosée par un grand cours d’eau. Je ne fais pas de pause le matin, pour pouvoir être tranquille l’après midi. Je pose le sac à l’hôtel, ce qui me repose le dos sur les derniers kilomètres. Puis je me rends compte de la tâche à accomplir. Après 7 heures de marche, une montée de 500 m en moins de 2 km. Je l’ai déjà fait, je n’ai pas les 13 kilos sur le dos, donc ça devrait passer. On me prête même un petit papier qui explique le temple que je vais visiter. Les clins d’œil au zodiaque chinois, la licorne, le mix avec le zen, tout. Je n’aurais pas le temps de tout voir malheureusement.

Je suis assez mal en point en haut, mais je suis heureux ! Heureux jusqu’à que je comprenne que je suis au portail d’entrée, et qu’il me faut monter 240 marches exactement avant d’arriver au temple principal. Et en avant les cuisses, ça va chauffer. Ça chauffe tellement en vérité qu’après les prières et la calligraphie, je prends le téléphérique pour redescendre. Le ciel s’est rapidement chargé en nuages. Je sais que demain j’ai le plus haut des 88 temples à faire, et qu’il fera très mauvais. Ce petit repos sera donc utile pour la suite.

Je m’installe tranquillement, fait les réservations pour les jours à venir et les nouveaux plans, les étirements, la douche, un livre. Une pensée pour vous qui allez lire ces quelques lignes.

A bientôt

vendredi 25 novembre 2016

jour 38, avec des morceaux de mon petit coeur dedans

Et si tout cela n’était qu’un jeu? Cette pensée m’est venue au réveil, alors que j’étais dans un rêve bien plus fou que les autres, dans lequel je courais à perdre haleine. Courir, imaginez un peu. Dans ce rêve, pas de douleurs aux pieds, pas d’impératifs de temps ou de protocole, que les rires des personnes qui couraient avec moi. Et si. Et si tout cela n’était qu’un jeu ? Est ce que l’on ne se mettrait pas nous aussi à courir, libres, heureux ? Et si notre vie n’était qu’un jeu ?

Et si ? Cette drôle de pensée m’a suivi toute la journée. Au réveil, l’ambiance n’était pourtant pas à la poésie. Mais mon cœur, lui, voulait étancher sa soif de rimes et de merveilles. Tout est possible. Ce n’est qu’un jeu. Je quitte l’hôtel alors que le soleil devrait déjà être levé. Devrait car d’épais nuages noirs assombrissent le tableau. Cette petite ville industrielle et portuaire n’a rien de réjouissant à la base, mais la météo n'arrange rien. Personne ne me rend mes sourires ce matin. Mes ohayo gozaimass’ restent sans réponse de nombreuses fois. Le froid est là, les mines sont grises comme le temps.
Mais dans mon jeu, mon personnage à le sourire. Alors j’ai ce sourire. Les nuages se crèvent soudain. Les gouttes commencent à tomber du ciel, triste comme les habitants de cette bourgade. Je le regarde du mieux que je peux de dessous mon chapeau, et je lui dis pas aujourd’hui. Et si notre volonté pouvait changer le cours des choses. Et si la parole devenait réelle. Le verbe était là au commencement. Peut être n’a t’il rien perdu de ses pouvoirs. Je veux le temps qu’il fait là bas, au delà de la mer intérieure du Japon. Un beau ciel bleu. Je rentre dans un magasin acheter ma ration quotidienne. La caissière, d’ordinaire apathique et peu causante dans les supérettes, me demande ce que je fais, le programme d’aujourd’hui, et me souhaite bon courage. Je ne m’apercevrais que le soir venu qu’elle a glissé un petit gâteau dans mon sac. Et si ces petits gestes étaient le véritable moteur de mon aventure ?

Et si j’avais réellement quelque pouvoir magique ? La pluie a cessé. Non pas que le ciel soit bleu, mais il a repris espoir et ne pleure plus. Une bonne chose. Je décide de le remercier pour son aide et je file sur les chemins, pour moi aussi m’échapper de la morosité de cet endroit. Je décide de pousser un peu et de m’arrêter dans une hutte, près d’un parc, pour manger quelques cookies de mon sac. Arrivé au lieu dit, je vois un homme qui attendait depuis longtemps, et qui est manifestement très heureux de me voir venir à lui, comme s’il savait que j’allais venir. Une table pleine de victuailles, capuccino avec un gâteau à la banane pour moi, et des belles discussions. Quelques rigolades aussi, quand il mentionne son voyage en France : Bordeau, Bourgogne et Champagne. Pour les paysages sans aucun doute. Ce charmant monsieur, lui aussi, avait décidé de jouer contre les règles. Il attendait seul, dans le froid, le passage de quelques fous pour leur distribuer un peu de soleil, alléger leur bagage de quelques peines, effacer le ciel gris de nos têtes. Ce grand magicien, allié dans ma quête du jour, me donne trois remèdes contre la fatigue, conçu dans le plus grand secret à base de sucre, le 1er au citron, le 2eme au raisin, le dernier à la fraise. J’en aurais besoin m’a t’il dit. Sûrement qu’il l’avait vu dans ses divinations nocturnes, car je les utiliserais pendant l’ascension.
Je remercie chaleureusement mon allié, et repars sur les chemins, à l’aventure. Je quitte la ville et ses menaces pour entrer dans mon domaine : la forêt et les montagnes. Enfin. Je n’ai plus besoin des sourires des autres, le sol rit sous mes pieds. Plus besoin de jardin ni de temple, j’ai les fleurs et les arbres plusieurs fois centenaires. Plus besoin de musique, la nature me chante tout son amour pour la création. Plus besoin de muscles, ma volonté et ma gaieté me portent. Même le ciel se résigne et accompagne mon bonheur d’un rayon de soleil. Arrivé à ma première étape, une dame apparaît soudain, jaillissant du bois. Et si c’était une sorcière? Ou une magicienne elle aussi ? Le miaulement plaintif d’un chat m’en apprend plus sur elle. Une druide, dévouée à la nature. Le chat le sait, il se pelotonne contre ses jambes.
Je salue cette protectrice, et monte vers le temple 65. Je croise de nombreuses personnes, rencontrées au hasard des chemins, qui me demandent mes plans. Le téléphérique pour le temple 66, un tsuyado de la liste magique ? Non, le bangai 13, par sa variante la plus sportive, le sommet à 790 m d’altitude. Et si ne pas faire comme tout le monde n’était pas un mal. Et si ils sont nombreux à se tromper, ont-ils pour autant raison? Et si ne pas s’adapter à une société malade est un signe de bonne santé mentale ? C’était bien ma décision. Mais aujourd’hui, tout n’est qu’un jeu. Et si les défis n’étaient là que pour rendre le jeu intéressant, pour qu’on ne s’ennuie pas ? Alors je salue les autres joueurs, quels que soient leurs parcours, et je file vers le mien.

Et si la montagne avait senti la force de ma volonté. Elle demande de l’aide à son allié fidèle, le vent, et se débarrasse de son manteau gris. Elle se dévoile pour moi, et m’invite à éprouver sa puissance, son éternité, son sacré. Je ne me fais pas prier, mais sans pour autant oublier de reprendre quelques points de vie. Au pays des mangas, quoi de plus naturel que d’avaler des onigiris pour ce faire.

Je commence mon ascension. À chaque fois que je pense être arrivé au sommet, faisant montre ici de beaucoup trop d’arrogance, la montagne me dévoile une nouvelle crête, que je dois suivre. Elle joue avec moi, cruelle, non, pas cruelle. Pédagogue. Elle réveille mon instinct. Elle fait durer le plaisir.
Celui qui ne trompe pas arrive. Léger tout d’abord, à peine plus qu’un murmure. Il enlève un peu de ma sueur, sur mon front, et m'enjoint à poursuivre. Plus j’avance, plus il se fait fort. Le vent, celui qui ne trompe pas, m’indique que le sommet est là, tout proche.

Déjà, la descente m’appelle. Et si mon rêve n’en était pas un. Et si je pouvais courir sans éprouver de mal. Je fais jouer mes pieds dans le tapis de feuilles mortes, tapis d’or et de brocart déposé à l’attention des poètes. Je file comme le vent mon ami, ni le souffle, ni les muscles, ni les articulations ne me font défaut. Ils rentrent dans le jeu, eux aussi. Une allée de pierre centenaires, au milieu de nul part. Un temple voué à un Dieu inconnu.
Et le paysage qui s’ouvre enfin. Et si j’étais au milieu du paradis, Sangri-la, Jottunheim, qu’importe. Je poursuis ma folle course. Quelques pensées me viennent. Et si Madame Le Pen pensait à l’argent qu’on lui verse, vous et moi, tous les mois pour un mandat qu’elle ne daigne pas assumer, ne se rendant au parlement européen que les jours où son père fait un don à SOS racisme. Et si nous cherchions les causes, au lieu de s’attaquer aux responsables et pseudo-responsables. Et si l’autre et le moi ne faisaient qu’un nous. Et si nous décidions vraiment des règles du jeu, n’y aurait il pas à manger et à boire pour tout le monde, partout ?

Je croise une cascade dédiée elle aussi à Fudo Myoo, sous laquelle on peut expier ses fautes. Je n’expie rien, j’ai le cœur en fête et l’âme légère comme les couleurs du vent. Je croise des divins protecteurs, laissés là pour éviter que les pèlerins ne fassent une mauvaise chute. Je dérape allègrement, comme un enfant, et ils me laissent à mes gamineries, amusés par mon comportement peu orthodoxe.

Et si les temples les plus beaux sont ceux auxquels on accède le moins facilement. Ce temple là en est un exemple parfait. Majestueux, grand, en harmonie parfaite avec la nature. Je suis seul avec le moine en charge du lieu. Il prie avec moi à l’intérieur du temple. Il est dans le jeu lui aussi, auxiliaire du divin qui intercède en ma faveur. Alors que je quitte le sol sacré, je croise des pèlerins qui arrivent en voiture. Et si la facilité ne jouait pas en leur faveur. Et si notre état d’esprit changeait réellement le monde qui nous entoure. Moitié vide ou moitié plein?

Sur le chemin qui me mène au logement, je suis une grande rivière limpide. Je caresse ses contours, émerveillé du spectacle qu’elle daigne m’offrir, quand un bruit m’alerte. Un sanglier? Mon ennemi le plus robuste sur ce parcours maintenant que j’ai vaincu le désespoir et la mélancolie? Non, c’est une bande de singes. Ils occupent une maison en ruine, et tout devient prétexte au jeu. Peut être ont ils déjà gagné, eux. Ils ont compris les règles bien avant nous. Ils ne sont pas dépressifs, ils ne craignent pas le licenciement, ou qu’on leur vole leur télévision. Non, ils veulent juste jouer dans la rivière quand le soleil est là, et regagner les branche quand le froid ou l’ennui les prend. Je reste là, redevenu enfant, à observer le spectacle. Il leur reste un combat à mener, une guerre dans laquelle nous nous battons à leurs côtés, eux les oiseaux, les singes, les poissons et tout ce que vit. Cette guerre, elle a pour cible l’arrogance humaine. Notre science ne nous sauvera peut être pas, notre Dieu non plus, notre pantin sans ficelle élu de temps en temps non plus. Nous devons la mener, cette bataille, car il n’y aura peut être plus de jeu. La boite se refermera, et les dés ne rouleront plus.

Je quitte mes nouveaux amis sur ces tristes pensées. Mais je me ressaisis vite. J’ai changé la météo, vaincu les cols, passé l’ultime boss : le tunnel de 1200m. Même lui n’a rien pu faire. Le petit rayon de soleil en moi, ce matin, c’est transformé en étoile massive et brillante. Si vous aussi, vous allumez cette étoile en vous, alors il n’y aura plus de pluie nul part dans les cœurs.

Et si vous allumiez ce soleil aujourd’hui ?


jeudi 24 novembre 2016

jour 37, ça approche


C’est que l’on se rapproche de la fin dites moi. Il ne me reste plus beaucoup de pages sur ma petite carte, et le planning prévu entame sa dernière colonne. C’est pourtant pas l’envie de rester qui me manque, mais une fois encore, la préparation du jour n’était pas évidente. Tout simplement, soit un petit jour, qui m’oblige à couper mon temps jusqu’au temple 66 en 5 jours, soit des bons gros jours, pour le faire en 3 étapes. J’ai opté pour le 3 jours.
Départ à 6h30, d’attaque, et qui c’est que je croise en bas des escaliers, le couple de français. On se serait donné rendez vous que l’on aurait pas mieux fait. On marche un moment ensemble puis l’on se sépare car ils ont raté le jour d’avant pour la descente, et ils sont arrivés par le temple 63, puis temple 62 et enfin 61 pour ne trouver leur hébergement qu’à la tombée de la nuit. Moi je suis arrivé par le bon chemin donc je suis au 61. Ils se sont tellement trompés dans les itinéraires que c’est un miracle si je les trouve encore sur le pèlerinage. Normalement, ils devraient avoir 3 jours d’avance maintenant. Le destin sûrement. Le truc, c’est qu’ils sont sur l’option petit jour. Donc ils ne marchent pas vite. C’était leur plan. On a marché ensemble quand je les ai retrouvé, tout de suite après le temple 64, on s’est trompés de chemin ensemble pour faire un petit détour, et tout en discutant, on est arrivé pas loin de leur hôtel à 12 h. Ils ont donc voulu se faire couper les cheveux, profiter d’internet dans un mac do, tuer le temps quoi.

Moi je savais comment tuer le temps. En marchant. Avec le petit détour, je devrais en avoir pour 36 km, je sais que j’en suis capable, alors je trace mon chemin. Je remarque au passage le mont Ishizuchi avec une belle couche de neige, vers la fin de la journée alors que les nuages se dispersent. Je suis heureux d’avoir annulé cette folle ascension. Tout le pèlerinage aurait été remis en question, assurément.

Dans le bangai 12, pas loin de l’arrivée, j’ai trouvé un matou qui semblait pas très fervent. Il faisait ses griffes sur le temple de Kobo Daishi quand je suis arrivé, et il a fait ses besoins sous la grande cloche ! Voilà ce qu’il en pense de la religion le greffier !

L’hôtel est comme un gite d’étape de saint jacques, mais avec chambre individuelle, et un concert de flute pendant le repas, avec les classiques japonais que l’on a tous entendu dans des films jap’ comme oldboy (oui je sais que c’est coréen ^^, mais si on peut plus parler de films avec des nippons sans mentionner les coréens, c’est pas cool) Sakura, le grand classique, passe a merveille avec des sashimis et des tempuras !

Pas beaucoup de photos encore une fois, le temps ne s’y prête pas, le paysage non plus pour tout dire. Pas trop long non plus comme post, mais ce n’est pas que je n’ai pas le moral ne vous en faites pas. Je continue de tout vivre à fond, mais les expériences sont moins nombreuses.
Vous parler des repas en hôtel. Plusieurs fois maintenant, quand je m’installe à table, avec mon nom différent puisqu'ils ne savent pas l'écrire (agent secret en vérité, un nom à chaque hôtel, c’est la règle), je trouve un petit réchaud. Une fois, c’était pour le poisson à faire griller soi-même, une fois pour la soupe, pour les udons, une fois pour faire dorer ses cèpes (et ouais, j’ai mangé des cèpes). Le mieux c’est quand on avait un petit rituel. Une page de kanji remplie pour les explications, le monsieur ne parle pas anglais, en 5 mouvement, il peut se faire comprendre. On met le riz, on met le poisson, les graines de sésame et les herbes/algues,pour faire la petite potion que l’on a mise chauffer 3 minutes. On remue et on se régale. J’ai mangé aussi un énorme coquillage, coupé en morceau, dans le genre Martin l’Hermite ou Bernard je sais plus. Certains morceaux sont mous, d’autres durs. Étrange comme sensation…

Enfin bref, je vous laisse à vos doux quotidiens. Je sais pas vous, mais j’ai quand même envie d'une gratinée de ravioles moi. Ils sont sympas les jap’, mais la crème le beurre et le fromage ils neconnaissent pas. Attendez que je rentre vous allez voir!  

jour 36 les dieux de la montagne



J’avais commencé mon jour avec les meilleurs espoirs. La météo était bonne jusqu’à la nuit, avec la pluie, puis le matin de nouveau le soleil. Un léger rafraîchissement à prévoir qu’ils ont dit.

Le petit déjeuner avalé, je démarre donc pour la supérette du coin pour m’acheter de quoi passer les prochains jours tranquille. Et le ciel n’est pas du tout au soleil. Mais pas du tout. Et le rafraichissement est brutal, puisque je n’ai pas chaud. Juste tiède pour tout dire. Je ne me décourage pas pour autant et je commence la première ascension, 800 m de dénivelé positif, 300 m en 7km sur la route et les 500 derniers mètres en 2 km en forêt.
La pluie m’accompagne tout le long, et j’ai le plaisir de glisser quelques fois. Mais dans l’ensemble, je garde le pied sûr et une vive allure. Je dépasse pas mal de monde, et j’arrive au temple 60 avec un brin d’avance sur le programme. La vue n’est pas superbe, mais je me console en me disant que je repasserais par là demain, au soleil. Le temps de faire mes prières, et je sens nettement le froid arriver. Je fume des pieds à la tête. Avant de faire peur aux gens, j’enfile un vêtement pour ne pas trop dégager de fumée justement.

Dans le temple, je trouve un gentil monsieur, qui me parle de Chambéry, de Savoie et de Grenoble, puisqu’il a passé quelques temps à l’Alpe d’Huez. Agréablement surpris, je discute un moment avec lui, et lui fait part de mes projets. Il me demande si je suis équipé et motivé, je répond que oui, alors il m’explique tout. Je sors de l’office avec toutes ces informations, et en refermant la porte, une violente bourrasque me glace jusqu’aux os. Alors que je m’équipe, je ressens un autre frisson, et je prend une décision.
Cette montagne sacrée n’est pas pour moi, pas aujourd’hui. Je retourne dans l’office histoire d’informer le gentil monsieur que je ne me lançais pas dans de folles aventures, et il m’assure que j’ai fait le bon choix. Il m’aide même à préparer le jour nouveau qui s’offre à moi. Je le remercie chaleureusement, et je retrouve les français qui arrivent sans se presser.
Et comme dit le monsieur Barbier, autant parfois la brume ajoute un côté mystérieux, autant là, c’est la purée de pois. On ne voit pas loin, on est mouillé, et le froid devient mordant. Je file sur les chemins histoire de me réchauffer. On ne doit pas être loin du record pour la montée et la descente sous la pluie. En même temps, le paysage est … flou !


Le temple 61 est moderne. L’intérieur ressemble à une salle de spectacle, et c’est plein de gamins puisque c’est ici que Kukai a guérit une femme enceinte. Assez étrange. L’ambiance est radicalement différente des autres temples. Le temple 62 par exemple, 20 minutes après, tout petit, avec personne. Je suis arrivé à mon ryokan en avance, pour bien me reposer et préparer la suite des aventures, avec ce changement de planning.    

mardi 22 novembre 2016

Jour 35 Là, ça fait beaucoup


La planification était ardue, je dois l’avouer. Le couple de français aura eu la même réflexion que moi. Aujourd’hui, soit on fait les petits bras, et on reste gentils, soit on pousse un peu. Et bien, on pousse un peu. En gros, il n’y a pas trop de places pour dormir dans le coin, deux hôtels seulement, pas de trucs gratuits, pas même d’abri bus confortable. Alors va pour le grand jour. Après les chants, le sermon du matin c’était sur les personnes que l’on ne remerciait pas assez (le prêtre a perdu sa femme il y a deux ans et ne s’est pas rendu compte qu’il ne l’avait pas remercié pour les repas), sur le fait que le henro c’est pas un coup de calligraphie mais bien ce que l’on ressent pendant le voyage (mention spéciale pour les tsuyados a t’il ajouté à notre égard, un jeune japonais et moi) et sur le fait que l’on traite encore des êtres humains différemment suivant où ils sont nés.

Bien inspiré par tout ceci, mais un peu dépité que cela ait duré si longtemps, je retourne dans la chaufferie où je dormais pour prendre mon sac et tracer mon chemin. Je souhaite un bon courage pour mon ami japonais car il a deux tendinites qui ne font pas rire du tout. Je sais ce que c'est de marcher avec cette douleur, en attendant qu'elle devienne insupportable ou qu'elle s'estompe.
 Le temple 59, facile à trouver, je suis à l’heure dans le programme tout va bien. Et puis, on arrive au moment tant attendu du bangai 10, qui est sensé se trouver à quelques kilomètres seulement du sentier officiel. Mais on se souvient tous, les bangais, c’est pas les mieux fléchés. Et pour le coup, après 1,5 km, plus rien, débrouille toi.

Plus rien, pas une flêche, pas un panneau, rien. Le problème de ma carte, c’est que les petites routes ne sont pas marquées. Tout le  jeu consiste à se dire : c’est petit comme route ou c’est blanc, ou vert, ou jaune ou même marron ! (bleu on a pas le droit c’est autoroute) Et bien pas de chance, ma montagne c’était pas la bonne. Tout partait bien. Un panneau avec le kanji “temple”, la montagne qui part vers l’ouest le chemin, tout ! Sauf que le temple est en ruine, et que je me suis planté. Donc redescente, puis demande à une dame qui comprend rien et qui me pointe le nord (le temple était au sud, sud ouest), remarche un moment, trouve plus personne, et je me demande si je persiste où si les bangais c’est fini, parce que je rappelle qu’il n’y a pas foule de lieu où dormir.
C’est avec l’énergie du désespoir que j’avance, espérant me rapprocher, quand je croise un facteur qui me confirme que c’est un peu plus loin sur mon chemin. Enfin. Et pour me récompenser de mon effort, ce temple est superbe. Les couleurs sont belles comme tout, le temple est un refuge pour les chiens errants ou battus, qui se baladent avec le chasuble du henro. Le seul truc, c’est que j’étais le seul pèlerin. Tous les autres sont là pour prendre des photos. Et attention, ça prend des photos. Certains sont couchés sur le sol pour avoir le meilleur angle. Je me lasse donc assez vite de ce nouveau champs de foire, et je reprend la route.

Le bangai 11 est l’opposé du 10. Facile à trouver, tout petit, personne. Mais personne. L’histoire voulait que Kobo Daishi aurait trouvé un grand magnolia de plusieurs siècle et aurait gravé une figure divine pour guérir les gens du choléra. Seulement voilà, le magnolia il est mort. Donc plus personne ne vient ici, sauf les 3 pèlerins qui font les bangais. Quand vous sonnez pour la calligraphie, le type il vient du bâtiment d’en face, pour vous dire s'il a souvent de la visite.

Après un ultime effort, mais avec l’énergie bien plus saine de la volonté ce coup-ci, et non du déssespoir, je rejoins mon hôtel. Excellent repas, excellent service. Je me sens d’attaque pour deux jours épiques. Non pas que les 40 km d’aujourd’hui sont à négliger. Mais là, j’attaque l’un des 7 sommets sacrés du Japon, 2200 m de dénivelées positives le premier jour, et 1300 le deuxième. Je me sens bien, le temps est avec moi, je vais taquiner les nuages et méditer avec les moines zen. Ça me changera du Shingon. Kukai me pardonnera sûrement de lui être infidèle.

Pas de news bientôt pour vous je pense, mais je serais de retour, comptez là dessus !